Les températures mondiales inordinairement élevées font que les glaciers de l’Himalaya paient un plus lourd tribut qu’ailleurs selon des chercheurs. Récemment, le cycle d’eau de fonte provenant de glaciers formés en hiver qui desservaient les agriculteurs au printemps, a flanché. Sonam Wangchuk est alors entré en scène pour reprendre le rôle que la nature ne peut plus exécuter, redonnant ainsi vie et espoir à toute une communauté.
Le décor époustouflant de cette région située dans l’État indien du Jammu-et-Cachemire a un travers. Le Ladakh sis à 3 500 mètres d’altitude est en proie à une crise de l’eau qui menace ses agriculteurs et sa population dans son ensemble. Recevant en moyenne seulement 50 mm de pluie chaque année, les habitants ont toujours compté sur les glaciers fondus pour vivre.
A chaque hiver, de gigantesques blocs de glace se formaient à haute altitude et se liquéfiaient tout au long du printemps, descendant vers les ruisseaux pour nourrir les terres desséchées. Mais la hausse des températures a fait que les glaciers fondent plus rapidement, ne durant pas jusqu’au début de la saison agricole.
Pire, l’abondante chute de neige pendant l’hiver rend l’endroit inaccessible pendant presque six mois de l’année. De plus, le taux élevé d’évaporation causé par le fort ensoleillement fait qu’il était inconcevable d’y mettre au point des méthodes d’irrigation traditionnelles. Il fallait donc trouver un dénouement sur place. La réponse est venue de Sonam Wangchuk, ingénieur ladakhi. Il détermina qu’il fallait créer des glaciers artificiels qui épancheraient graduellement les terres au moment où les planteurs en ont précisément besoin.
A vrai dire, l’idée ne vient pas entièrement de Wangchuk. Au 13e siècle, des habitants du Kush et du Karakoram ont pratiqué une technique proche – la greffe de glaciers. Puis, il y a plus d’une décennie, un autre ingénieur indien, Chewang Norphel, mettait au point un prototype plus avancé. Il avait en effet pu, en utilisant des tuyaux, détourner l’eau de fonte de glaciers dans des lacs artificiels sur les flancs ombragés de la montagne. L’eau qui gelait la nuit, créait des glaciers qui grandissaient chaque jour à mesure que de nouvelles eaux coulaient dans le bassin. L’homme des neiges du Ladakh, comme on le surnomma alors, put ainsi créer 11 réservoirs fournissant de l’eau à 10 000 personnes.
Mais le problème était que le modèle de Norphel ne pouvait être répliqué à des altitudes plus basses, où vivent précisément les gens. Il était donc impératif d’adapter le concept.
Wangchuk put enfin crier « eurêka » lorsqu’il traversait un pont dans la partie indienne de l’Himalaya. Il vit un morceau de glace toujours accroché sous le pont bien que les fragments autour avaient fondu depuis longtemps. Il comprit alors que ce n’était pas la chaleur du soleil qui fondait la glace sur le sol mais plutôt la lumière directe du soleil. « La glace devait se trouver dans un lieu couvert, comme sous un pont, mais ce n’était pas envisageable à grande échelle. Nous avons donc pensé à cette forme conique où la glace ferait de l’ombre à elle-même, » a expliqué le scientifique. Cette structure a l’avantage de minimiser la surface exposée aux rayons directs du soleil tout en optimisant le volume de glace qui peut être cultivée.
L’ingénieur explique humblement que sa création n’est pas compliquée : Il faut seulement des canalisations sous le niveau du gel, où l’eau oscille entre l’état solide et liquide. Ensuite, les conduites qui sont tournées vers le ciel pulvérisent l’eau dans l’air de -20 ° C. Ce froid glacial permet de geler l’eau quand la gravité la fait retomber au sol. En ce faisant, l’eau passe par des tuyaux qui la canalise. Et c’est ainsi que sont formés les fameux monticules de glace où l’eau est stockée.
Sonam Wangchuk compte créer jusqu’à 80 stupas de 30 mètres de hauteur pouvant conserver 10 millions de litres d’eau chacun pour irriguer le désert voisin.
Il y a quatre ans, Wangchuk dévoilait son premier stupa de glace – un glacier artificiel de la forme d’une énorme pyramide, pour lequel il a reçu en décembre dernier un prestigieux prix d’innovation de € 91 000 (£ 80 000) – le Prix Rolex. Ce prototype de six mètres de haut, installé en 2015, a fourni 1,5 million de litres d’eau aux 5 000 jeunes arbres plantés par les villageois. Avec l’installation d’une canalisation longue de 2,3 km financée par une campagne participative, les zones auparavant incultivables ont pu être restaurées. Elles ont été irriguées jusqu’au delà du printemps, soit jusqu’à juillet, grâce aux stupas qui libéraient jusqu’à 5 000 litres d’eau par jour.
Sonam Wangchuk compte utiliser la somme remportée pour créer jusqu’à 80 stupas de 30 mètres de hauteur pouvant conserver 10 millions de litres d’eau chacun pour irriguer le désert voisin. Une fois le système d’irrigation mis en place, il lancera alors parallèlement un projet de plantation d’arbres dans le désert. De plus, il planche sur une idée d’université qui mettrait à contribution les jeunes montagnards de l’Himalaya et d’ailleurs pour développer des solutions écologiques pour leur région.